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Le regard historien

5 septembre 2022

Les chambres de commerce et d'industrie: l'étonnante pérennité d'une institution séculaire

L'épidémie de Covid-19, lourde en conséquences pour les entreprises, a conduit l'ensemble des acteurs publics et privés à une réflexion sur l'efficacité des institutions existant pour entretenir le dynamisme économique de la France. Parmi ces institutions, les chambres de commerce et d'industrie tiennent une place singulière. Elle est sans doute l'une des plus décriées, mais reste l'une des plus stables. En mars 2021, un rapport de la Cour des comptes estimait encore que les Chambres remplissent mal leur rôle. Cette critique n'est pas nouvelle: depuis la Libération, les chambres de commerce ("et d'industrie", à partir de 1960) sont sévèrement jugées. Comment expliquer leur solidité, en dépit de cette mauvaise presse ?

La plus ancienne des institutions économiques publiques

On pourrait d'abord expliquer la pérennité de l'institution consulaire par la profondeur de ses racines dans le système administratif français. Elle remonte à la fin du XVIe siècle. Sous Henri IV, Barthélémy de Laffemas institue les "chambres supérieures de commerce" pour "examiner les placets, mémoires et propositions relatifs aux manufactures du royaume et de l’étranger". Leur naissance procède donc de la volonté royale ; elles ne sont aucunement des associations de marchands. Ces derniers sont à la fois autonomes dans leur activité d’entrepreneurs et dépendants de l’État dans leur activité consulaire. Cette double nature est source de conflits intérieurs pour les membres des Chambres qui, souvent, aimeraient critiquer les décisions prises par le pouvoir politique mais sont réduits au silence car ils en sont un rouage. "Pour les mercantilistes, et particulièrement pour Laffemas, Colbert ou Pontchartrain [...], [les Chambres] consacrent un pouvoir commerçant qui doit supplanter celui des vieilles corporations" [ANDOLFATTO].

Dès les premières décennies d'existence, les relations entre l'Etat et les entrepreneurs composant les Chambres sont porteuses de conflit: l'Etat cherche un moyen de contrôler les milieux économiques, tandis que ces derniers, au contraire, ne se contentent pas de leur rôle consultatif et cherchent à peser sur les politiques menées. L'antagonisme perdure au fil des siècles, mais il est frappant de voir que les Chambres continuent à exister. Elles ne connaissent qu'une seule éclipse: la Révolution française. L'interdiction des corporations frappe l'institution consulaire au même titre que toutes les autres associations. Mais la nécessité l'emportant, elles sont rétablies dès 1802.

Le XIXe siècle est l'âge d'or des Chambres. C'est dans sa seconde moitié que bon nombre d'entre elles se dotent d'imposants palais au coeur des villes. Leur richesse dépend de la prospérité des villes: à Lyon, la fabrication et le commerce de soieries permettent l'édification d'un monument sur la Presqu'île. Les Palais du commerce de Bordeaux, Marseille et Paris dégagent un prestige équivalent.

Le déclin des Chambres après 1945

À partir de 1945 se forme un « État keynésien modernisateur » qui se fait « à la fois banquier et industriel » [ROSANVALLON]. L'Etat se dote de ses propres outils de connaissance de l'économie: l’Institut national d’études démographiques confié à Alfred Sauvy en 1945 et l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en avril 1946. Il devient aussi capable d'intervenir, en rupture avec le modèle libéral qui avait triomphé au XIXe siècle mais qui a été renversé par les crises et les guerres mondiales.

Face à un État disposant de moyens humains et matériels étendus, les chambres de commerce voient leur rôle décliner. Elles n’ont plus à fournir des renseignements au pouvoir qui dispose de ses propres services centralisés. De pourvoyeuses d’information, elles deviennent demandeuses. Elles s’appuient désormais sur les statistiques et études transmises par les ministères compétents. Cela ne signifie pas que les Chambres renoncent à analyser la conjoncture économique. Par leur proximité avec les entreprises et la variété des secteurs qu’elles représentent, elles restent en mesure de voir leurs difficultés. C'est dans cette nouvelle voie que les Chambres vont dès lors s'engager pour continuer à exister: elles se présentent depuis les années 1960 comme le partenaire de proximité des entreprises, comme une institution aux mains des chefs d'entreprise.

 

Sources:

- Illustration d'en-tête: Palais de la Bourse de Lyon, https://fr.wikipedia.org/wiki/Chambre_de_commerce_et_d%27industrie_Lyon_M%C3%A9tropole_Saint-%C3%89tienne_Roanne

- ANDOLFATTO Dominique, « Comment représenter les intérêts économiques ? Les élections des chambres de
commerce et d’industrie. Histoire politique », Revue d’histoire consulaire, mai 2011, n° 39

- ROSANVALLON Pierre, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1990

 

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23 juillet 2022

Le "génocide par la faim" de 1932-1933: un traumatisme ukrainien ravivé par l'agression russe

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Paysans affamés dans la rue à Kharkov en 1933

L'agression russe de l'Ukraine, depuis février 2022, a plongé cette partie orientale de l'Europe dans une nouvelle guerre. Le président Poutine écrit une nouvelle page d'une histoire ukraino-russe complexe. Le discours nationaliste qu'il défend fait de l'Ukraine un territoire pleinement russe, conformément à l'idée que la Russie tirerait ses origines médiévales de la Rus' de Kiev. Mais ce récit historique se heurte à celui qui s'est élaborée en Ukraine, particulièrement marqué par un événement traumatisant longtemps caché ou nié, aujourd'hui remis en avant: l'Holodomor, terme ukrainien signifiant "génocide par la faim". Comme dans l'actuelle guerre où le monde s'inquiète de l'impossibilité de faire sortir d'Ukraine la production céréalière, le statut de grenier à blé de ce territoire était un enjeu primordial.

 

Une famine organisée par le pouvoir soviétique

Durant l'entre-deux-guerres, l'Union soviétique mène une politique prédatrice vis-à-vis de l'Ukraine, nouvelle étape dans le cycle des violences inaugurée par la révolution bolchevique en 1917. La politique de "dékoulakisation", visant la mise au pas des campagnes, entraîne dans toute l'URSS des millions de morts de faim et de déportations. Les récoltes sont confisquées aux paysans, et ceux qu'on soupçonne de ne pas respecter les objectifs de planification sont jetés en prison, déportés ou exécutés. Entre 1933 et 1934, la population soviétique connaît même un léger déclin, passant de 162,9 millions d'habitants à 156,7 millions.

En dépit des rapports alarmistes qui lui sont envoyés, Staline persiste et attribue aux paysans la responsabilité de la situation: "Ce qui l’intéressait, c’était de briser par la faim la résistance que les paysans, et en particulier les paysans ukrainiens, opposaient à la collectivisation". L'Ukraine n'est pas la seule république visée par cette politique meurtrière. En revanche, elle se distingue par la volonté d'étouffer le sentiment nationaliste: "les paysans avaient été détruits en tant que force sociale, ce qui priva le mouvement national ukrainien de son soutien traditionnel, déjà mal assuré" [GRAZIOSI].

 

Un enjeu mémoriel depuis la fin de l'URSS

Depuis quelques années, le terme "Holodomor" se répand pour désigner la politique stalinienne visant à affamer ses habitants, causant au moins trois millions de morts. Le film de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland, L'Ombre de Staline, sorti en 2019, a contribué à rappeler cet épisode. Il met en scène un journaliste américain, Gareth Jones, qui visite clandestinement ce pays d'où aucune information ne sort. Au péril de sa vie, il parvient à faire connaître au monde la tragédie qui s'y joue avec la complicité des journalistes et diplomates occidentaux qui refusent d'en rendre compte. Ses efforts n'empêchent pas les Etats-Unis de reconnaître l'URSS en novembre 1933.

Depuis les années 2000, le "génocide par la faim" est l'enjeu d'une guerre des mémoires entre Russes et Ukrainiens. Ces derniers l'utilisent pour marquer leur différence existentielle avec Moscou, au risque d'un certain simplisme: des Ukrainiens ont pu être associés au plan d'extermination. Nonobstant la complexité de l'épisode et les réticences de la partie prorusse de la population, l'Holodomor devient un instrument politique et diplomatique contre la Russie, en particulier au moment de la Révolution orange de 2004 [MARTIN].

 

Références:

GRAZIOSI Andrea, « Chapitre I. La naissance du nouveau régime, 1914-1939 », dans : , Histoire de l'URSS. sous la direction de GRAZIOSI Andrea. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Nouvelle Clio », 2010, p. 1-142.

MARTIN Barbara, « Le Holodomor dans les relations russo-ukrainiennes (2005-2010). Guerre des mémoires, guerre des identités », Relations internationales, 2012/2 (n° 150), p. 103-116. DOI : 10.3917/ri.150.0103. URL : https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2012-2-page-103.htm

Source de l'image: Famine in the Soviet Ukraine, 1932–1933: a memorial exhibition, Widener Library, Harvard University. Cambridge, Mass.: Harvard College Library: Distributed by Harvard University Press, 1986. Procyk, Oksana. Heretz, Leonid. Mace, James E. (James Earnest). ISBN: 0674294262. Page 35.

5 juillet 2022

Le déficit commercial: encore et toujours...

En décembre 2021, un nouveau cri d'alarme était lancé sur le commerce extérieur de la France: le Haut-Commissaire au Plan, François Bayrou, publiait un rapport au titre volontaire: "Reconquête de l'appareil productif: la bataille du commerce extérieur". Le contenu est sévère: "nous nous sommes laissés exclure par une sorte de désintérêt progressif et croissant pour ces champs de production"; la poursuite du déclin industriel entraînera des conséquences sociales graves en l'absence de sursaut. Portée par les campagnes des élections présidentielles et législatives, la question a été abondamment abordée par les journalistes et les politiques.

Pourtant, un regard en arrière montre que nous n'en sommes pas à la première mise en garde de ce genre. A quand remonte l'inquiétude française sur le déséquilibre de la balance commerciale? C'est à partir du premier choc pétrolier, à l'automne 1973, que le thème s'impose. Deux facteurs jouent alors: d'une part, la forte hausse du prix du pétrole et des matières premières fait exploser le montant des importations; d'autre part, le processus de désindustrialisation s'accélère à cause de la non-compétitivité des productions françaises.

 

Un commerce extérieur fragile depuis les années 1970

Le graphique suivant montre le taux de couverture des importations par les exportations. Il met en évidence les fluctuations du commerce extérieur français et la difficulté à trouver un équilibre. Ancienne puissance industrielle, la France dispose dans les années 1950 d'un appareil productif ouvert à de nombreux marchés étrangers: automobiles, biens d'équipement et textile sont ainsi vendus au dehors. La France profite aussi du débouché colonial qui lui est réservé. Dans les possessions ultramarines d'Asie ou d'Afrique, les producteurs français peuvent vendre sans craindre la concurrence étrangère. Mais les guerres mondiales et la crise des années 1930 a affaibli l'économie française. A la fin des années 1950, le déficit du commerce extérieur atteint un record; la dévaluation de 1958 a cependant un effet spectaculaire - même miraculeux pour certains observateurs -... mais de courte duée. Dans les années 1970, importations et exportations sont proches de l'équilibre, mais une dégradation s'observe et un nouveau déficit record arrive en 1982. Ce n'est qu'en 1992 qu'un retour durable à l'excédent a enfin lieu.

Graphique: taux de couverture des importations par les exportations (en %). [INSEE]

Des initiatives variées face à la crise

Pour tenter de combler le déficit, l'imagination est au pouvoir. La déclaration du président Valéry Giscard d'Estaing, "En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées!", est restée dans les mémoires, ainsi que le changement d'heure en été pour réduire la consommation d'énergie. Divers slogans sont diffusés, tel celui du "treizième mois à l'exportation": les Français devraient travailler chaque année un mois de plus et destiner la production supplémentaire à l'exportation.

Face à l'ampleur du problème, l'Etat ne se limite pas aux slogans, mais cherche aussi à agir plus efficacement dans l'économie. En matière de commerce extérieur, il dispose depuis 1945 de plusieurs organismes spécialisés: le Centre national du commerce extérieur (CNCE, qui devient temporairement Centre français du commerce extérieur, CFCE), la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (COFACE) et la Banque française du commerce extérieur (BFCE). Ces trois instruments ont été créés dans le contexte de la Libération où l'Etat étend son action au champ économique et devient "keynésien modernisateur" [ROSANVALLON]. Le CNCE, dont les débuts ont été marqués par des difficultés à trouver comment agir. On lui reprochait en particulier son fonctionnement centralisé et parisien, et par conséquent inadapté à l'accompagnement des entreprises. Dès les années 1950, des réformes ont visé à mieux l'implanter dans les régions, ce qui est passé par la création de délégations autonomes dans chacune d'elles [BADEL].

Dans les années 1970, le CNCE poursuit dans chaque région son effort d'assistance aux entreprises, ce qui prend diverses formes: organisation de missions d'exploration à l'étranger, participations groupées à des salons internationaux, conseil individualisé aux entreprises candidates à l'exportation... Il agit par lui-même, mais aussi en s'associant aux autres organismes tels que les organisations patronales - CNPF, CGPME - et les chambres de commerce et d'industrie.

 

Aujourd'hui, l'Etat est plus que jamais impliqué dans l'assistance aux exportateurs. Le CNCE a connu plusieurs réorganisations et changements de nom, et est l'ancêtre de l'actuelle structure Business France qui centre son action sur les PME et les ETI. Le commerce extérieur est une affaire d'Etat, mais la contribution des pouvoirs publics n'a pas suffi à rétablir l'équilibre car, comme beaucoup le faisaient déjà remarquer dans la seconde moitié du XXe siècle, un dispositif public efficace ne compense pas un manque de compétitivité des entreprises.

 

Références:

BADEL Laurence, Diplomatie et grands contrats, Paris, Presses de la Sorbonne, 2008.

ROSANVALLON Pierre, L'Etat en France de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1990.

"Reconquête de l'appareil productif: la bataille du commerce extérieur", Haut-Commissariat au Plan, 7 décembre 2021, https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2021/12/reconquete_de_lappareil_productif_-la_bataille_du_commerce_exterieur_.pdf

INSEE, « Taux de couverture à prix courants de l'ensemble des biens et services de 1950 à 2013 »,
20 février 2015, URL :
https://www.insee.fr/fr/statistiques/1288588?sommaire=1288637#tableau-T14F141G1

 

4 juillet 2022

Un président sans majorité: retour sur le parlementarisme et le présidentialisme

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Les élections législatives de juin 2022 ont aussitôt été vues comme une rupture dans l'histoire de la Ve République. Au cours des précédents scrutins depuis 2002, le président de la République pouvait compter sur une assise parlementaire solide: 308 députés LREM pour Emmanuel Macron en 2017, 258 députés PS pour François Hollande en 2012, 313 députés UMP pour Nicolas Sarkozy en 2007 et 355 députés UMP pour Jacques Chirac en 2002.

Si la presse a réagi de façon si vive en juin 2022, c'est pour deux raisons principales. D'abord, il faut remonter à 1997 pour retrouver la dernière législature dominée par l'opposition, lorsque J. Chirac se trouvait face à 255 députés PS, ce qui avait donné lieu à la "troisième cohabitation" avec Lionel Jospin. Ensuite, un processus de présidentialisation du régime est à l'oeuvre depuis le mandat de N. Sarkozy (2007-2012) [LE DIVELLEC 2012], qui a culminé avec l'image "jupitérienne" d'E. Macron.

Après vingt ans de coïncidence entre le président et la majorité parlementaire, des incertitudes planent. Pour y voir plus clair, un regard historien sur les IIIe, IVe et Ve Républiques est utile.

La Troisième et la Quatrième: le triomphe du parlementarisme

Dans l'histoire de France, le modèle parlementaire a culminé avec la IIIe République. Ayant pris fin avec le régime de Vichy, il est jusqu'à aujourd'hui entaché d'une mauvaise réputation; on reproche encore aux partis de ne pas avoir su tenir tête à l'Allemagne nazie.

Il faut rappeler que le poids du Parlement dans ce régime s'explique par les conditions troublées de sa naissance. Après l'effondrement du Second Empire, la mise en place d'une république ne va pas de soi. De nombreux hommes politiques espèrent encore un retour à la monarchie, en particulier le président de la République Mac-Mahon. La crise du 16 mai 1877 a un rôle fondateur. Mac-Mahon pousse son président du Conseil, le républicain Jules Simon, à la démission et dissout l'Assemblée nationale. La lutte entre la présidence de la République et le Parlement s'étend dans la durée et tourne au désavantage de la première: en janvier 1879, Mac-Mahon doit se démttre. Le nouveau président, Jules Grévy, s'engage alors: "je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale, exprimée par ses organes constitutionnels". Dès lors se met en place un régime où les ministres sont responsables devant les Chambres et où le chef de l'Etat s'efface. On peut affirmer que "cette crise structure le régime institutionnel français jusqu’en 1958" [BODINEAU et VERPEAUX, 2020]. Il en résulte une grave instabilité ministérielle: de 1871 à 1904, 104 gouvernements se succèdent.

C'est dans un contexte de toute-puissance parlementaire que les partis modernes apparaissent: le Parti radical et radical-socialiste en 1901, la SFIO en 1905 et le Parti communiste en 1920 sont les plus importants. La loi de 1901 sur les associations permet leur création.

La IIIe République, si elle meurt de fait en juin 1940, ne prend véritablement fin que lorsque le général de Gaulle organise un référendum en octobre 1945. En y répondant oui, les Français approuvent la rédaction d'une nouvelle Constitution. La nouvelle République naît avec la Constitution d'octobre 1946. L'Assemblée nationale a le dessus sur le Conseil de la République (qui remplace le Sénat); elle vote seule la loi, et la révision constitutionnelle de 1954 lui donne le dernier mot sur la Chambre haute en cas de désaccord. Le président de la République est élu par les deux Chambres et dispose d'un pouvoir faible que compense son autorité morale. En revanche, le président du Conseil est renforcé. Désigné par le chef de l'Etat et investi par l'Assemblée nationale, il conduit le pouvoir exécutif. La faiblesse de ce nouveau régime tient à l'échec de la "rationalisation", c'est-à-dire de poser des garde-fous au pouvoir parlementaire qui conserve une domination sans partage. Au cours de ses douze années d'existence, le régime fonctionne mal et la question de l'Algérie entraîne sa fin.

La Cinquième: l'excès inverse?

A côté des deux régimes précédents, la Ve République offre un cas de rationalisation poussée du régime, par des mesures prises dès la Constitution de 1958 ou ajoutées lors des nombreuses révisions constitutionnelles [FRANCOIS 2011]. Le Conseil constitutionnel sert, à l'origine, a abolir la toute-puissance du législatif qui pouvait conduire à ignorer la Constitution. Mais le risque de tomber dans l'excès inverse est grand. Pour citer un juriste: "la Constitution de 1958 ne repose pas sur l'affirmation d'une démocratie électorale, elle privilégie au contraire une légitimité de suprématie de l'État comme lieu de l'intérêt général impliquant que l'élection du Président doit impérativement dépasser le périmètre idéologique des partis politiques qui le soutiennent" [FOUCAULT 2018].

La nouveauté du régime ne s'arrête cependant pas à l'encadrement du parlementarisme. Elle se manifeste aussi dans la montée en puissance du présidentialisme qui n'était pas une fatalité, même si la Constitution attribue pour la première fois au président des pouvoirs qu'il peut exercer personnellement, sans le contreseing ministériel. Il est à la fois un arbitre entre le Parlement et le gouvernement, le gardien de la Constitutiono et le pouvoir suprême lors de crises graves. Le général de Gaulle, en interprétant la Constitution dans le sens qui lui convient et par des mesures ultérieures comme l'élection du président au suffrage universel direct (1962), favorise le processus de recentrement du pouvoir sur l'Elysée.

S'il a résolu les fragilités des régimes précédents, le présidentialisme crée évidemment de nouveaux problèmes. En particulier, comment un président de la République peut-il remplir sa fonction lorsqu'il ne dispose pas d'une majorité parlementaire? Sous François Mitterrand et J. Chirac, le mode de la cohabitation a été expérimenté. Le fonctionnement de la Ve République rend impossible un retour au parlementarisme, la possibilité d'une dissolution du Parlement restant à la disposition du président.

 

Références:

BODINEAU Pierre, VERPEAUX Michel, « Chapitre IV. La démocratie parlementaire : la IIIe et la IVe République (1870-1958) », dans : Pierre Bodineau éd., Histoire constitutionnelle de la France. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2020, p. 77-121. URL : https://www.cairn.info/--9782715403208-page-77.htm

FOUCAULT Martial, "La Constitution de la Ve République va dans le sens du Président", Site du Conseil constitutionnel, septembre 2018, https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/la-constitution-de-la-ve-republique-va-dans-le-sens-du-president.

FRANCOIS Bastien, « III. Le déséquilibre présidentialiste », dans : Bastien François éd., Le régime politique de la Ve République. Paris, La Découverte, « Repères », 2011, p. 63-100. URL : https://www.cairn.info/--9782707167088-page-63.htm

LE DIVELLEC Armel, « Chapitre 3. Présidence de la République et réforme constitutionnelle l'impossible «rationalisation» du présidentialisme français », dans : Jacques de Maillard éd., Politiques publiques 3. Les politiques publiques sous Sarkozy. Paris, Presses de Sciences Po, « Académique », 2012, p. 91-110. DOI : 10.3917/scpo.maill.2012.01.0091. URL : https://www.cairn.info/--9782724612387-page-91.htm 

Source de l'image: Site de la Présidence de la République, https://www.elysee.fr/la-presidence/visite-palais-de-l-elysee-et-son-histoire

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